C’est peu dire que qualifier de tollé l’effet causé ici par la déclaration faite par Nicolas Sarkozy alors qu’il remettait la Légion d’honneur à Jean Charest, premier ministre du Québec. Depuis une semaine, on ne parle que de ça, et l’affront fait toutes les manchettes.
Pour ceux qui ne sauraient pas de quoi je parle (souvenons-nous que les lecteurs de ce blog viennent des quatre coins du monde – tiens voilà que je parle à la 1e personne du pluriel moi!), voici ce qui en est dit sur le site Internet de Radio-Canada :
[Si Sarkozy] n'a pas manqué de rappeler l'importance des liens entre la France et le Québec, il a aussi précisé que son pays était attaché au Canada.
M. Sarkozy a tourné la page sur la politique de « non-ingérence et de non-indifférence ». Cette politique « qui a été la règle pendant des années, honnêtement [...] n'est pas mon truc », a-t-il lancé.
Puis, le président français a précisé qu'il aimait les deux ensembles de manière différente: « Pour vous aimer, je n'ai pas besoin de détester les voisins [...], pour prouver qu'on aime les autres, on n'a pas besoin de détester leurs voisins ». Il a ajouté que ceux qui ne comprenaient pas cela « ne comprennent pas le refus du sectarisme, le refus de la division, le refus de l'enfermement sur soi-même et le refus de cette obligation de définir son identité par opposition féroce à l'autre ».
Bon. Bon, bon, bon.
Je conçois parfaitement que Sarkozy ne comprenne rien au nationalisme québécois. Moi-même, je n’ai perçu la profondeur de la « question identitaire » qu’en vivant ici, et encore, après plusieurs mois, et encore partiellement. Je pense qu’il faut vivre ici pour constater les effets qu’a déjà la culture anglo-saxonne sur la culture québécoise francophone, voir la façon dont elle envahit progressivement toutes les sphères, observer comment la langue française se teinte d’anglicismes (je ne parle pas seulement de « mots », mais aussi et surtout de tournures de phrases), voir le nombre de francophones diminuer d’année en année (notamment à Montréal), et percevoir la menace que tout cela fait peser sur les Québécois francophones, lesquels craignent tout bonnement de voir leur langue disparaître, et avec elle un mode de pensée.
Un des mes collègues à proposé la comparaison suivante. Imaginons que la France soit devenue allemande à la fin de la seconde guerre mondiale. Imaginons que, progressivement, les Allemands se soient installés en France, toujours plus nombreux. Imaginons que les émissions de télévision allemandes envahissent les écrans, que la bouffe allemande envahisse les supermarchés, que les commerçants se mettent à vous servir en allemand, que la plupart des postes à responsabilité soient occupés par des allemands*, que la population parlant allemand devienne finalement plus nombreuse que celle parlant français. Est-ce que les Français ne se sentiraient pas un peu menacés? Est-ce qu’ils n’auraient pas un peu envie d’affirmer leur identité? Est-ce qu’ils n’auraient pas le sentiment qu’ils doivent se défendre?
Évidemment, ceci est une caricature, un raccourci, une simplification, mais j'ai repris l'exemple, car je trouve qu'il aide la démonstration. Je précise que je ne suis pas ici en train de faire un pamphlet pro-indépendance mais que j'essaie d'aider à percevoir - avec maladresse sans doute, mais que voulez-vous, je ne suis pas parfaite - ce que ressentent certains Québécois francophones, que l'on considère leur sentiment justifié ou non.
Bref, je comprends parfaitement que M. Sarcozy soit tout à fait ignorant de cette question, mais ne devrait-il pas éviter de faire étalage de son ignorance? Un peu de dignité, que diable! Et s’il s’agissait là d’une pure provocation (on l’en sait capable), il me semble qu’il eut été de bon ton de ne pas le faire en présence de Jean Charest, le plaçant par là même dans une situation politiquement très délicate. Je vous le dis : l’art de recevoir se perd!
(Il eut aussi été de bon ton de penser à tous les expatriés qui allaient immanquablement se faire prendre à parti sur leur lieu de travail, presque comme s’ils étaient personnellement responsables de l’incurie de leur président – pour lequel ils n’ont pas forcément voté en plus!)
Et je ne parle pas de ce député qui a cru bon de demander à Charest s’il avait « la plotte à terre ». Certes, cela partait d’une bonne intention (moi, le ridicule de la chose me fait plutôt rire à vrai dire), mais je comprends que les Québécois puissent se sentir insultés, surtout que l’expression est d’une vulgarité consommée! Je pense qu’il serait grand-temps de donner aux attaché(e)s parlementaires un cours de « Recherche sur Internet pour les nuls ».
Portez-vous bien et humblement!
Aurélie, hi-haaaan.
* D’après ce que l’on m’a dit, les « anglos » ont longtemps occupé la grande majorité des postes à responsabilité au Québec, même si cela change aujourd’hui.