Déménagement
Maintenant que vous êtes tous au courant de la nouvelle, je peux vous raconter mon déménagement.
Nous sommes vendredi soir et la température ambiante est de 35 degrés. +35 degrés. Il semble que le gérant de l’immeuble, soit excessivement frileux. Vulcain en personne. Ma copine Odile qui habite au 3ème étage a trouvé un bouton à l’intérieur de son radiateur et a réussi à l’éteindre : son thermomètre indique +26 degrés, chauffage coupé ! J’ai cherché ledit bouton à l’intérieur de mon radiateur à moi mais je n’ai malheureusement rien trouvé. Résultat, je vis nue.
Christophe est venu m’aider à faire les cartons. Désireuse de conserver un semblant de décence et soucieuse de ne pas lui faire regretter notre projet de vie commune avant même qu’il ait commencé, je décide de conserver mon tee-shirt et mon jean et de ne pas exhiber ma vieille culotte confortable mais moche, pas assortie à mon soutien-gorge. Ceci étant, je crève de chaud.
Tiens t’as fait une lessive. T’inquiète, elle sera sèche dans deux heures. Et c’est vrai. Il fait dans mon appartement la même température que dans un sèche-linge.
Christophe, affamé, propose de cuire des nouilles. J’ai très faim moi aussi, mais je rêve d’une salade, d’une crème glacée et d’une boisson fraîche. Les nouilles là comme ça, rien que d’y penser, j’en suis malade. Seulement voilà, j’ai fini la bouteille de Sprite hier, et le nouveau sirop de Grenadine que j’ai acheté goûte le chien mouillé. Il me faut un Coca d’urgence. Il y a bien du Coca dans le frigo du dépanneur (=épicerie) du coin mais pas dans le mien. Et dehors, il fait aussi 35, mais en dessous de zéro. Autant dire que s’y risquer est synonyme de choc thermique. Tant pis, je reste dans l’étuve, sans manger et sans boire de Coca, un verre d’eau fera l’affaire.
Une fois rassasié, Christophe entreprend de poser deux-trois trucs dans un carton, puis s’assied, au bord du malaise. J’ai moi aussi la tête qui tourne à m’agiter dans cette fournaise. Et puis, je ne sais pas par où commencer. Je suis atterrée par tout le bordel accumulé en 9 mois et demi de présence sur le sol canadien. C’est ça le MINIMUM vital ?? Christophe, lui, est atterré par le contenu de ma salle de bain. C’est quoi toutes ces crèmes ? Mais… tu les as apportées de France ???? Tu viens passer 6 mois au Canada (ben oui au départ je venais pour 6 mois) et tu emportes 37 pots de crème ??????? T’es pas un peu dingue ???????????????????????? Euh… mais t’inquiète pas, on trouvera de la place.
J’avoue que j’ai un problème avec les produits cosmétiques. Je ne fume pas, je ne bois pas, je n’aime pas le café, je ne me maquille pas mais j’ai une consommation démesurée de crèmes en tout genre. Je crois avoir, en tout, plus d’une dizaine de crèmes pour le visage, sans compter les masques : raffermissante, hydratante, adoucissante, anti-rougeurs, tonifiante, vitaminée, antirides, contour des yeux et j’en passe. J’en ai autant, voire plus, pour le corps : pour peau sèche, très sèche, ultra sèche, sensible, qui tiraille, qui gratouille, qui démange, crème pour le buste, crème pour les mains, crème pour les pieds, huile prodigieuse, etc. Tout ce que le marketing invente, je l’achète. Il faut bien que j’aie quelques vices…
Mais je suis quand même fière de moi : le tout tient dans un seul carton. « Ce n’est pas la place que ça prend quand c’est tassé qui m’inquiète » me balance mon futur colocataire, mesquin.
Le temps passe, Roxane va bientôt venir chercher Christophe pour aller guincher chez leur pote Mickson et nous n’avons presque rien fait. Depuis une dizaine de minutes, nous sommes allongés sur le lit, inertes. Tout à coup, l’idée du siècle. Je vais demander à Rox de m’apporter une canette de Coca. Vite, vite, le numéro. De bonne humeur comme toujours, flyée comme toujours, Roxane m’apporte l’ambroisie, un bonnet rose sur la tête. A l’instant où je le vois c’est décidé, il me faut le même. Tiens, je commence à comprendre comment j’accumule tout ce bordel… C’est sûr que je n’en ai pas besoin, c’est sûr que j’ai déjà un bonnet et qu’en plus je ne le mets pas car ma capuche magique me suffit, mais un bonnet rose, quand même… Sur le pas de la porte de l’immeuble, je suis en tongs, ce qui ne manque pas de surprendre Fred : « Ben qu’est-ce que tu fous en gougounes en plein hiver ? » C’est que chez moi, il fait super chaud. Allez faire comprendre ça à une personne normalement constituée.
Christophe parti, je fais tomber le jean, je bois mon coca et je me prépare une tartine de Nutella. Tout à coup j’ai retrouvé l’appétit... Allez, une seconde tartine.
Incapable d’entamer quoi que ce soit qui ressemble à de l’empaquetage, je fais les 100 pas, nerveuse. Est-ce que j’ai trop d’affaires, est-ce que Christophe a paniqué en voyant tout le bordel que j’allais apporter avec moi, est-ce qu’il a changé d’avis et qu’il va me dire de rester chez moi ? Est-ce que, est-ce que, est-ce que… Et est-ce que deux minutes je pourrais arrêter de me prendre la tête, je vous le demande. Je pourrais mettre ça sur le compte de la chaleur mais cela serait malhonnête. Qu’est-ce que je suis fatigante quand même ! Bon c’est décidé, à partir de maintenant je suis zen. Arf ! J’ai du prononcer cette phrase des centaines de fois. Je suis comme un fumeur qui jure que c’est la dernière à chaque fois qu’il grille une cigarette. Je me demande à quoi ressemble la vie des gens qui ne se posent pas toujours trente-six questions, dont 35 totalement sans pertinence.
Une heure du matin. Il serait temps d’aller me coucher mais je suis en nage. A la place je vais prendre une douche froide, ça me remettra les idées en place. Pour le reste des préparatifs, on verra demain.
Après 7 heures d’un sommeil agité, je me réveille avec un mal de crâne épouvantable. Evidemment : la température de la pièce ne s’est pas soudainement effondrée pendant que je dormais. Je suis loin de mon quota d’heures de sommeil, mais il fait si chaud que je ne parviens pas à me rendormir. J’ai encore envie de prendre une douche froide. Apparemment mes voisins aussi, qui ont déjà pris une douche à la même heure que moi hier soir. Je suis bien contente qu’ils crèvent de chaud eux aussi, tiens, et s’ils pouvaient mourir, ces matante qui me réveillent toutes les nuits en rigolant bêtement, en chantant ou en tirant à la carabine à plombs (ils sont forcément sous l’emprise de la drogue… on ne peut pas avoir un rire à ce point crétin au naturel), ça me ferait bien plaisir. Ce n’est pas parce que je m’en vais que je cesse de les haïr.
Bon maintenant, il s’agit d’être efficace. C’est que j’ai encore des tonnes de choses à faire moi. Laver les draps, ranger la lessive de la veille, terminer les cartons et les valises, faire le ménage, et surtout aller à la banque. Christophe me demande un dépôt car il a peur que je ne fasse pas la vaisselle. Nan, je rigoooole. En fait il faut que j’aille faire certifier par ma banque le chèque que les services d’immigration m’ont retourné par la poste. On me demandait un « chèque de banque original en dollars canadiens », j’ai envoyé un chèque de mon chéquier canadien. Comment pouvais-je deviner que « original » voulait en fait dire « certifié par la banque » ? Du coup ça retarde le traitement de mon dossier. Quelle connerie, franchement.
Bon, ok. Ca ici, ça là. Ce carton dans le coin, l’autre ici. Fermer la valise. Passer l’aspirateur. C’est bon, je cours à la banque.
Dans la rue, surprise de taille : les passants se baladent tête nue, sans gants, manteau ouvert. C’est vrai que –8ºC, par rapport à ce qu’on a eu cette semaine, c’est presque le printemps.
Evidemment la banque est fermée. On est samedi après tout. Et malheureusement pour moi, l’honorable établissement ferme à 15h tous les jours sauf le jeudi, ce qui va retarder le traitement de mon dossier d’une dizaine de jours. Je ne m’énerve pas : depuis hier soir, je suis zen.
Retour au hammam. Je vais dire au revoir à mon grand ami Richard, celui qui collectionne les objets trouvés dans des poubelles. J’ai en effet décidé de lui donner mon petit poste de radio, cadeau Yves Rocher, et quelques chewing-gums (on se souvient que Richard aime beaucoup mes chewing-gums qui lui servent de monnaie d’échange contre des bouchons de stylos bics et des capsules de bouteilles de bière.) Comme d’habitude, il veut me faire pénétrer dans son antre. Comme d’habitude, je refuse, je suis pressée, mais comme d’habitude il insiste, et comme d’habitude je cède. L’odeur est insoutenable: c’est l’hiver, on vit fenêtres fermées. J’ai un haut le cœur, je passe en mode apnée et je m’enfuis au bout de 3 minutes, prête à vomir. 10 minutes plus tard, de retour chez moi, j’ai encore cette odeur épouvantable dans le nez et le cœur au bord des lèvres. Ce n’est sûrement pas la dernière fois que je vois Richard car il traîne tout le temps dans la rue l’été, mais c’est certainement et définitivement la dernière fois que je mets les pieds chez lui.
14h15, Christophe débarque. Il a loué une voiture Communauto pour l’occasion. Mais si, Communauto, vous savez bien, je vous en ai déjà parlé. C’est un système de location de voiture à l’heure peu onéreux. On réserve sa voiture sur Internet, on se pointe au parking, on ouvre la boîte en métal fixée à un lampadaire et dont on possède la clé, on récupère la clé de la voiture et c’est parti. Christophe a loué la voiture pour trois heures, espérons que cela suffira.
Les deux premiers allers-retours sont consacrés au transports de mes effets personnels, entendez deux tonnes de fringues, les fameux 37 pots de crème, des bougies, des encens, des guirlandes et les mille autres babioles qui remplissent mon appartement. Le troisième trajet est consacré au matelas de mon futon, celui que Laurence m’a donné plusieurs mois auparavant et qui est ma seule possession mobilière. Le quatrième trajet est réservé au transporte de l’armature en bois. Manque de chance, le coffre de la voiture ne communique avec l’arrière que grâce à un minuscule trou, prévu pour les skis mais pas pour les futons. Digne héritière de Mc Gyver, ayant plusieurs années de scoutisme à mon actif, j’imagine un stratagème dont je suis particulièrement fière : poser des cartons sur le toit de la voiture pour le protéger puis scotcher le futon. Pour ne pas couper le scotch en refermant les portières, nous passons par les fenêtres. Au moment de rentrer dans la voiture, le fou rire : les portières ont été scotchées avec le reste… A part ce petit détail, l’ensemble est une réussite : nous arrivons à bon port sans avoir eu à porter le futon. Ce qui nous fait un total de 3 canapés pour un seul appartement…
Comme dans tout déménagement qui se respecte, la fin de journée et le lendemain sont consacrés aux rangements. On en profite pour faire le ménage, réorganiser les placards et voilà que l’intégralité du week-end a été consacrée à des corvées, qu’on est épuisé et qu’il faut déjà reprendre le travail. Pas grave, je suis bien contente quand même.
Je vous fais une grosse bise et vous reviens très prochainement avec le récit des joies de la vie à deux.
Aurélie, coloc. épanouie